Les successions internationales en droit français : aspects civils et fiscaux par Maître Maud Coudrais
-LES SUCCESSIONS INTERNATIONALES
EN DROIT FRANÇAIS
ASPECTS CIVILS ET FISCAUX
PAR MAUD COUDRAIS
Avocate à la Cour, Docteur en droit
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REGLES D’OR POUR TRAITER UNE SUCCESSION INTERNATIONALE
REGLE N° 1 :
Chaque pays possède son propre système juridique, même en matière internationale.
- Il faut toujours raisonner du point de vue d’une ordre juridique déterminé.
- Pour une analyse complète, il faut se placer successivement du point de vue de chaque ordre juridique possiblement concerné.
Cette présentation résume le raisonnement juridique propre à l’ordre juridique français, en matière de successions internationales.
REGLE N° 2 :
Dès qu’une situation présente une dimension internationale, plusieurs ordres juridiques sont potentiellement concernés.
- Il convient toujours, quelle que soit la question, de rechercher dans un premier temps quelle va être la règle applicable pour déterminer l’ordre juridique compétent.
En matière successorale, deux questions majeures se posent :
-Comment régler la succession ? (Aspect civil) (1).
-Comment taxer la succession ? (Aspect fiscal) (2).
- COMMENT REGLER UNE SUCCESSION INTERNATIONALE EN DROIT FRANÇAIS ?
Concrètement, en tant qu’avocat, il faut résoudre deux questions :
-L’ordre juridique français (notaires, juridictions), est-il compétent pour régler cette succession ? (1.1)
-Dans l’affirmative, quelle sera la loi applicable dans l’ordre juridique français ? (1.2)
Dans les deux cas, conformément à la règle d’or n° 2, il faut avant tout se demander quelles sont les règles applicables pour régler ces questions.
1.1. L’ordre juridique français est-il compétent ?
En vertu de l’article 55 de la Constitution française du 4 octobre 1958, les conventions internationales priment sur les règles d’origine interne :
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
Le Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen « s’applique aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après le 17 août 2015 ».
Or, il arrive, du fait des délais de prescription du droit français, de traiter de successions ouvertes avant cette date. Les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 sont soumises au délai de prescription trentenaire. Celles ouvertes à compter du 1er janvier 2007 se prescrivent par 10 ans.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 février 2020, 19-11.668, Inédit
1.1.1. Les successions ouvertes avant le 17 août 2015
Etape n° 1 : Il convient de vérifier s’il existe une convention bilatérale applicable.
*Exemple 1 : La convention franco-belge du 8 juillet 1899.
Elle ne s’applique qu’entre français et belges, pas entre belges.
Cass. 1re civ., 10 oct. 2012, n° 11-18.345, Bull. 2012, I, n° 194
*Exemple 2 : La convention franco-italienne sur l’exécution des jugements en matière civile et commerciale signée à Rome le 3 juin 1930.
Cass. civ., 13 déc. 2023, n° 22-11.727
TGI Paris, 1re ch. 1re sect., 16 déc. 2015, n° 14/13561
Cass. 1re civ., 20 mars 2019, n° 18-11.490, Publié au bulletin
Cass. 1re civ., 11 juill. 2019, n° 18-14.186, Publié au bulletin
*Exemple 3 : La Convention bilatérale franco-suisse du 15 juin 1869 :
2ème étape : à défaut de convention bilatérale, on appliquera les règles de conflit de juridiction d’origine interne suivantes :
- Selon la jurisprudence, les tribunaux français sont compétents pour les biens meubles si le défunt avait son dernier domicile en France, quel que soit leur lieu de situation, et pour les biens immeubles, s’ils sont situés en France. La qualification de bien meuble ou immeuble se fait en appliquant les catégories de la loi française (loi du for).
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 avril 2021, 19-24.773
- Subsidiairement, c’est-à-dire à défaut d’autre de compétence des juridictions françaises fondées sur les règles de conflit de juridiction ordinaires et à défaut de convention internationale applicable, le juge français peut reconnaître sa compétence pour statuer sur une succession mobilière sur le fondement des articles 14 et 15 du Code civil, c’est-à-dire si le demandeur ou le défendeur sont de nationalité française, mais uniquement en matière de successions mobilières, à l’exclusion des successions immobilières et des actes voies d’exécution pratiquées en dehors du territoire national.
Cass., civ. 1, 17 novembre 1981, 80-14.728
*Exemple : la succession du compositeur Maurice JARRE.
L’artiste est décédé en 2009 en CALIFORNIE où il résidait depuis des années. Parmi de nombreuses décisions rendues, le TGI de PARIS, par jugement du 2 décembre 2014, a rejeté l’exception d’incompétence en considérant que les juridictions françaises étaient compétentes pour statuer sur la succession mobilière sur le fondement des dispositions des articles 14 et 15 du Code civil, les deux parties étant de nationalité française, quand bien même le dernier domicile du défunt était situé à l’étranger.
CEDH, affaire JARRE c. France, 15 février 2024, n°14157/18
*Exemple d’application à un décès d’une personne qui avait son dernier domicile en Suisse mais dont les héritiers sont français, décès survenu en 2014.
CA Dijon, 3e ch. civ., 24 nov. 2022, n° 22/00420
*Mais exclusion de cette possibilité en cas de règle de compétence posée par une convention internationale. D’où par exemple l’exclusion d’une telle compétence en cas de conflit franco-belge, du fait de l’applicabilité de la convention franco-belge.
CA Aix-en-Provence, 1re ch. c, 23 juin 2011, n° 10/12523
- Exceptionnellement, les juridictions françaises peuvent être compétentes pour statuer sur une succession immobilière même si l’immeuble est situé hors de France en raison d’un renvoi fait par la loi étrangère applicable à la loi française.
Cass. 1re civ., 23 juin 2010, n° 09-11.901, Bull. 2010, I, n° 140
*Exemple avec la loi espagnole qui renvoie à la loi française :
Cour de cassation, Chambre civile 1, 23 janvier 2007, 06-11.037, Publié au bulletin
*Exemple d’application avec l’Italie :
CA Chambéry, 1re ch., 10 sept. 2019, n° 16/00525
1.1.2. Les successions ouvertes à compter du 17 août 2015
Pour déterminer si l’ordre juridique français est compétent pour régler une succession ouverte à compter du 17 août 2015, il convient d’appliquer le Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du conseil du 4 juillet 2012.
Rappel des règles :
-Compétence de principe des juridictions de l'État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès » (article 4).
-Possibilité d’accord d’élection de for (article 5).
-Possibilité de déclinatoire de compétence en cas de choix de loi, sous certaines conditions (article 6).
-Compétence spécifique en cas de choix de loi (article 7).
-Compétence fondée sur la comparution volontaire (article 9).
-Compétences subsidiaires dans certains cas, lorsque le défunt n’avait pas sa résidence habituelle dans un Etat membre au moment du décès (article 10).
-Compétence au titre du principe de forum necessitatis (article 11).
La notion de dernière résidence habituelle :
*Exemple de dernière résidence en Italie malgré le décès en France dans un appartement appartenant au défunt.
CA Paris, pôle 3 ch. 1, 25 mai 2022, n° 21/04423
*Exemple de mise en œuvre du critère de la nationalité pour trancher entre plusieurs résidences en France, en Italie et en Suisse d’une personne vivant entre ces trois pays.
CA Amiens, 1re ch. civ., 6 juill. 2023, n° 22/04492
*Exemple de la succession Johny HALLYDAY
Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a été saisi d'une affaire concernant la succession de G-BT X, décédé à Marnes-la-Coquette, connu sous le nom de O K et décrit comme "l'Elvis français". Les demandeurs, D X et B X, enfants biologiques du défunt, contestent la validité d'un testament olographe établi en Californie qui lègue l'ensemble de la succession à son épouse I K et, en cas de prédécès de celle-ci, à ses deux filles adoptives Z et A. Ils invoquent le droit successoral français et le Règlement européen (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012 pour réclamer leur part de réserve héréditaire. I K, en défense, soutient que la dernière résidence habituelle de son mari était en Californie et demande l'incompétence des juridictions françaises. Le tribunal, après analyse des éléments de preuve et considérant la durée et la régularité de la présence du défunt en France, ainsi que les conditions et raisons de cette présence, détermine que la résidence habituelle de G-BT X était en France. En conséquence, il se déclare compétent pour statuer sur la succession et rejette la demande d'incompétence soulevée.
TGI Nanterre, 28 mai 2019, n° 18/01502
Question de la compétence subsidiaire de l’article 10 :
Article 10 du Règlement :
« Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où :
a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès; ou, à défaut,
b) le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne se soit pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle.
2. Lorsque aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur ces biens. »
Le juge doit au besoin relever d’office cette compétence subsidiaire.
CJUE, Cour, 7 avr. 2022, C-645/20
Cass. 1re civ., 21 sept. 2022, n° 19-15.438
*Exemple avec résidence habituelle à Singapour :
CA Bordeaux, 3e ch. famille, 21 mars 2023, n° 22/04022
*Exemple avec la Suisse :
TJ Paris, 2e ch. 2e sect., 1er août 2024, n° 22/06762
*Exemple avec l’IRAN
CA Aix-en-Provence, ch. 2-4, 13 janv. 2021, n° 20/05858
1.2. Si l’ordre juridique français est compétent, quelle loi appliquera-t-il ?
La succession étant internationale, plusieurs lois nationales sont potentiellement applicables.
Il convient donc de déterminer laquelle le sera.
Pour ce faire, il convient de se demander quelle règle de conflit de loi sera applicable.
Or, en vertu de l’article 55 de la Constitution, les conventions internationales priment sur les règles d’origine interne.
Le Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen « s’applique aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après le 17 août 2015 ».
Les règles applicables aux successions internationales dépendent de la date d’ouverture de la succession, c’est-à-dire de la date du décès du défunt : avant le 17 août 2015 (1.1) ou à compter du 17 août 2015 (1.2).
1.2.1. Les successions ouvertes avant le 17 août 2015
1ère étape : existe-t-il une convention internationale applicable ?
-En matière de successions internationales, la Convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort prévoit l’application de la « la loi de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès, lorsque le défunt possédait alors la nationalité de cet État » (art. 3, § 1). Cette loi « régit l’ensemble de la succession, quelle que soit la situation des biens » (Art. 7, § 1). Toutefois, elle n’est jamais entrée en vigueur.
2ème étape : à défaut de convention internationale, les règles de conflit d’origine interne ont vocation à s’appliquer.
Lorsque le décès du défunt est survenu avant le 17 août 2015, les règles applicables ont été posées par les juridictions françaises.
La jurisprudence de la Cour de cassation distingue entre meubles et immeubles.
- Pour les meubles successoraux, la Cour de cassation les soumet à la loi de l’État sur le territoire duquel le défunt avait fixé dernier domicile du défunt.
Cass. civ., 19 juin 1939, Labedan
è La mise en œuvre de cette règle de conflit soulève la question de la détermination du dernier domicile du défunt.
*Le dernier domicile ne doit pas être confondu avec le lieu de la dernière résidence habituelle. Il convient d’entendre la notion de domicile au sens de l’article 102 du Code civil comme se désignant le lieu du « principal établissement » de la personne.
*Le dernier domicile du défunt ne doit pas non plus être confondu avec son domicile fiscal.
Ex. Cass. 1re civ., 30 octobre 2006, n° 05-17849 : le défunt (résidant fiscal en Suisse) décède en France, laissant pour lui succéder son fils et sa seconde épouse. Le fils fait grief aux juridictions françaises d’avoir déclaré la loi française applicable aux biens immobiliers et aux biens mobiliers dépendant de la succession de son père. Pour la succession mobilière, le fils met notamment en avant le fait que le domicile de son père est en Suisse où il était fiscalement établi. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que la cour d’appel :
*Le dernier domicile ne doit pas être confondu avec le domicile matrimonial.
- Pour les immeubles successoraux, la Cour de cassation les soumet à la loi de l’État sur le territoire ils sont situés.
Cass. civ., 14 mars 1837, Stewart
Cass. 1re civ., 21 mars 2000, n° 98-15650 : Bull. civ. I, n° 96
Cass. 1re civ., 20 juin 2006, n° 05-14281 : Bull. civ. I
-Ainsi, la question de la qualification de meuble ou d’immeuble est déterminante. Avec ses cas limites.
Ex. Cass. 1re civ., 20 octobre 2010, n° 08-17033 : La Cour de cassation a ainsi considéré que des parts sociales d’une société anonyme suisse, « donnant droit à l’usage exclusif d’un appartement, de deux caves et d’un grenier à Genève », constituent des biens mobiliers soumis à la loi du dernier domicile du défunt, en l’espèce à la loi française.
3ème étape : vérifier si la loi désignée ne doit pas être écartée en vertu de certains mécanismes correctifs. Chaque ordre juridique possède ses mécanismes juridiques pour tenter de limiter les aberrations issues de l’application des règles.
*L’invocation de la fraude à la loi :
Elle consiste à modifier artificiellement le facteur de rattachement retenu par la règle de conflit de lois dans le seul but d'évincer la loi qu'elle désigne normalement et de lui substituer une loi plus avantageuse.
*L’indication de l’exception d’ordre public, lorsque l’application en France de la loi étrangère normalement applicable pour régir la succession aboutirait à un résultat contraire aux principes essentiels de l’ordre juridique français, avec application de la loi française.
Ex. Cass. 1re civ., 17 nov. 1964 : « une incapacité successorale fondée sur la non-appartenance à une religion déterminée est directement contraire aux principes de la loi française et notamment à celui de la liberté de conscience »
- Le respect de la réserve héréditaire fait-il partie de l’ordre public international français ?
Pour la Cour de cassation, une loi étrangère désignée par la règle de conflit et ignorant la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français. Elle peut être écartée si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.
Cette règle a été posée par deux arrêts du même jour, dont l’un concerne la succession du compositeur français Maurice JARRE.
Civ. 1re, 27 sept. 2017, no 16-13.151
Civ. 1re, 27 sept. 2017, no 16-17.198
Il convient de préciser que les héritiers demandaient en outre l’application du droit de prélèvement énoncé à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction. Aux termes de cette disposition « dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. » La Cour de cassation a rejeté cette prétention, considérant que dans sa décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819.
1.2.2. Les successions ouvertes à compter du 17 août 2015
Rappel des règles posées par le Règlement :
Lorsque le décès du défunt est survenu le 17 août 2015 ou postérieurement, les règles applicables sont celles édictées par le règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.
Ce texte permet de choisir sa loi nationale pour régir la dévolution de ses biens (art. 22 § 1).
A défaut de choix, la loi de la résidence habituelle (et donc pas le domicile habituel) du défunt s’applique, quelle que soit la nature des biens et quelle que soit leur localisation (en France ou à l’étranger) (article 21, § 1).
-Par conséquent, la question déterminante est celle de la localisation de la dernière résidence habituelle du défunt.
En préambule, le règlement (UE) n° 650/2012 précise que « l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement » (règl. (UE) n° 650/2012, préambule, cons. 23).
A titre exceptionnel, il est possible que le juge applique la loi d’un Etat qui n’est pas celui de la dernière résidence habituelle du défunt, mais d’un Etat avec lequel « au moment du décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits » (article 21 § 2).
Mécanisme correctif pour protéger la réserve héréditaire sous l’empire du Règlement successions :
Avant l’entrée en vigueur du Règlement « successions », la jurisprudence française a refusé (cf. supra) de reconnaître la règle de la réserve héréditaire comme d’ordre public international, et a abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 prévoyant un droit de prélèvement au profit des héritiers français, s’exerçant sur les biens situés en France.
Or, le législateur français, pour protéger la réserve, a adopté la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 qui prévoit en son article 24 :
« I.-Le chapitre III du titre II du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° L'article 913 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le défunt ou au moins l'un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. » ;
2° L'article 921 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d'un héritier sont susceptibles d'être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible. »
II.-Le présent article entre en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication de la présente loi et s'applique aux successions ouvertes à compter de son entrée en vigueur, y compris si des libéralités ont été consenties par le défunt avant cette entrée en vigueur. »
on peut s’interroger sur la compatibilité de ces dispositions législatives françaises avec le règlement.
En théorie, la prise en compte de ce mécanisme pourrait se fonder sur l’exception d’ordre public prévue par l’article 35 du Règlement européen. Toutefois, la prise en compte de ce droit à réserve est dénoncée par une partie de la doctrine comme contraire à l’esprit unificateur dudit règlement.
Toutefois, plusieurs jurisprudences laissent planer un doute.
Notamment, les arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 15 février 2024, dans les affaires COLOMBIER C. France et JARRE c. France, dans lesquels la Cour considère que le droit à la réserve n’est pas un droit de l’homme.
Outre le fait que dans des arrêts de 2017, certes avant l’entrée en vigueur du règlement, la Cour de cassation avait refusé de considérer que la protection de la réserve héréditaire faisait partie de l’ordre public international.
2. COMMENT TAXER UNE SUCCESSION INTERNATIONALE EN DROIT FRANÇAIS?
L'EXEMPLE DES SUCCESSIONS FRANCO-ITALIENNES
Dans quel cas la loi fiscale française va-t-elle pouvoir être appliquée par l’Etat français pour taxer une succession internationale ?
Là encore, il convient de se demander quelle règle appliquer pour résoudre une telle question.
2.1. S'il existe une convention internationale applicable
*Exemple : La Convention franco-italienne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions et sur les donations et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales signée à Rome le 20 décembre 1990 et entrée en vigueur le 31 décembre 1991.
è Exclusion des règles communes en présence d’une convention bilatérale en matière de successions (et donations) franco-italiennes
Un enjeu important face à l’attractivité de la fiscalité italienne en matière de succession et la sévérité de la fiscalité française (sauf pour le conjoint survivant) :
France :
- Selon la loi fiscale française, le conjoint ou le partenaire de PACS survivants sont exonérés de tout droit de succession.
- Abattement personnel sur les droits de succession :
Fonction de leur lien de parenté avec le défunt et de leur situation personnelle.
- 100 000 € pour un enfant, un père ou une mère,
- 15 932 € pour un frère ou une sœur,
- 7 967 € pour un neveu ou une nièce,
- 1 594 € en l’absence d’un autre abattement applicable.
- Les personnes en situation de handicap remplissant les conditions bénéficient d’un abattement supplémentaire de 159 325 €.
- Part taxable :
C'est la base de calcul des droits sur votre part :
Part taxable = actif successoral taxable – abattement personnel
- Barème de taxation :
À la part taxable est appliquée un barème qui diffère en fonction du lien de parenté avec le défunt.
C'est un barème progressif c'est-à-dire qu'il s'applique par tranches successives sur votre part taxable.
Le barème pour les héritiers en ligne directe (père, mère, enfant et petit-enfant)
Tarif applicable |
Barème applicable |
N’excédant pas 8 072 € |
5 % |
Compris entre 8 072 € et 12 109 € |
10 % |
Compris entre 12 109 € et 15 932 € |
15 % |
Compris entre 15 932 € et 552 324 € |
20 % |
Compris entre 552 324 € et 902 838 € |
30 % |
Compris entre 902 838 € et 1 805 677 € |
40 % |
Supérieur à 1 805 677 € |
45 % |
Le barème pour les frères et sœurs
Tarif applicable |
Barème applicable |
Inférieur à 24 430 € |
35 % |
Supérieur à 24 430 € |
45 % |
Droits de succession pour les parents jusqu’au 4e degré
Ils sont taxés au seul taux à 55 %.
Droits de succession pour les autres héritiers
Ils sont taxés au seul taux à 60 %.
Italie
Les taux et exonérations établis pour les droits de succession et de donation ont été prévus par l'article 2, paragraphe 48, du décret-loi n° 262 de 2006.
En particulier, les tarifs suivants sont appliqués :
- 4 %, pour les transferts effectués au conjoint ou aux parents en ligne directe (ascendants et descendants) à appliquer sur la valeur nette totale, excédant pour chaque bénéficiaire, la part de 1 million d'euros ;
- 6 %, pour les transferts en faveur des frères ou sœurs à appliquer sur la valeur nette totale, supérieure à 100 000 euros pour chaque bénéficiaire ;
- 6 %, pour les transferts en faveur d'autres membres de la famille jusqu'au quatrième degré, de parents dans la ligne collatérale jusqu'au troisième degré, à appliquer à la valeur nette totale transférée, sans qu'il soit nécessaire d'appliquer aucune franchise ;
- 8 %, pour les virements en faveur de tous autres sujets à appliquer sur la valeur nette totale transférée, sans application d'aucune franchise.
En plus des franchises de 100 000 € et 1 million d'euros, il existe une franchise supplémentaire, égale à 1,5 million d'euros, pour les transferts effectués en faveur de personnes handicapées, reconnus comme graves en vertu de la loi n° 104 de 1992.
Les règles principales de la convention fiscale franco-italienne :
-Principe : imposition dans l’Etat du dernier domicile du défunt (article 9) (« Les biens, quelle qu'en soit la situation, qui font partie de la succession ou d'une donation d'une personne domiciliée dans un Etat et qui ne sont pas visés aux articles 5, 6, 7 et 8, ne sont imposables que dans cet Etat ».)
- Sauf Etat du lieu de situation pour immeubles (article 5), biens mobiliers appartenant à un établissement stable ou à une base fixe (article 6), navires et aéronefs exploités en trafic international (article 7), valeurs mobilières (article 8) ;
- Exclusion de la double imposition : déduction dans un pays de l’impôt payé dans l’autre (article 11) ;
- Principe de non-discrimination (article 12).
è taxation en par Etat italien en cas de domicile du défunt en Italie sauf biens immobiliers, valeurs mobilières situés en France
NB. Droit italien des successions généralement plus favorable :
*sauf pour conjoint car en France exonération de droit de successions (mais toujours franchise plus haute en Italie…)
L’exemple de la question de la fiscalité des assurances-vie :
Du point de vue du système juridique français, l'État français peut-il imposer le contrat d'assurance-vie ouvert par le défunt, résident fiscal français, ouvert dans un établissement situé sur le territoire italien, sachant que le bénéficiaire est un résident fiscal italien ?
Selon le droit civil français, le contrat d'assurance-vie est en principe « hors succession » (article L132-12 du Code des assurances).
Cependant, en matière fiscale, le droit français prévoit l'imposition des contrats d'assurance-vie même s'ils sont situés à l'étranger au moment où le défunt résidait en France (article 750 ter, 1° du Code Général des Impôts.
« Sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit :
1° Les biens meubles et immeubles situés en France ou hors de France, et notamment les fonds publics, parts d'intérêts, biens ou droits composant un trust défini à l'article 792-0 bis et produits qui y sont capitalisés, créances et généralement toutes les valeurs mobilières françaises ou étrangères de quelque nature qu'elles soient, lorsque le donateur ou le défunt a son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B ; »
Conformément à l'article 8.1 de la Convention fiscale bilatérale franco-italienne de 1990, le contrat d'assurance-vie, en tant que crédit, est soumis à l'impôt exclusivement en ITALIE, pays où il est situé.
Malheureusement, il n'existe pas de jurisprudence accessible sur la question dans une situation franco-italienne.
D'après mon analyse, du point de vue de l'ordre juridique français, l'État français n'a pas le droit d'imposer le contrat d'assurance-vie ouvert par la défunte, résidente fiscale française, détenu par un établissement italien situé en Italie.
*Voir aussi la convention franco-monégasque
Les exonérations et abattements applicables peuvent varier en fonction des conventions fiscales internationales. Par exemple, la Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 octobre 2015, 14-14.256 a jugé que la fiscalité relative à la mutation par décès de parts sociales d'une société appartenant à un défunt domicilié fiscalement à Monaco relève de la Principauté de Monaco et non de la France, en vertu de la Convention franco-monégasque.
2.2. En l’absence de convention fiscale internationale
Les règles fiscales françaises d’origine internet applicables à la taxation d'une succession internationale sont principalement régies par le Code général des impôts (CGI).
-Le principe de territorialité de l'imposition :
Selon l'article 750 ter du Code général des impôts, les biens meubles et immeubles situés en France ou hors de France sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit lorsque le donateur ou le défunt a son domicile fiscal en France. De plus, les biens situés en France sont également soumis à ces droits même si le donateur ou le défunt n'a pas son domicile fiscal en France.
- Détermination de la résidence fiscale :
La définition de la résidence fiscale en France est établie par plusieurs dispositions du Code général des impôts (CGI).
Article 4 A du CGI :
"Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française."
Article 4 B du CGI :
« 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France :
a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;
c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. »
La jurisprudence a précisé l'application de ces critères. Par exemple, le Conseil d'État a jugé que le foyer s'entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu'il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles
Conseil d'État, 9ème chambre, 9 juin 2021, 431551
De plus, la Cour administrative d'appel de Douai a confirmé que le lieu du séjour principal ne peut déterminer le domicile fiscal que dans l'hypothèse où le contribuable ne dispose pas de foyer.
Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 2 mai 2007, 06DA00929